LA PLAGE À SAINTE ADRESSE
Claude Monet (1867)
(Art of Institute de Chicago)
En observant cette toile que Monet peint en 1867 pendant un séjour à Sainte Adresse, le premier aperçu que je réalise, c’est la simplicité de la composition et l’économie de couleurs de sa palette.
Dans le cœur du tableau, comme s’il s’agissait d’une grosse corde effilochée par les va-et-vient de la mer, une bande divise l’œuvre en deux moitiés quasiment identiques ; on peut y distinguer, presque dans l’ombre aux couleurs tendres et prétendument salissantes, la ligne de côte bâtie par les capricieuses formes d’un village de pêcheurs semé de villas ; parmi ces formes se détache ce qui ressemble la tour aiguillée d’une église et quelques maisons s’emparant de la clarté qui se faufile par les trous, entre les nuages; cette ligne met en relief l’horizontalité prépondérante de la peinture.
En haut, sur ce serpent en repos qui vient à mourir à l’horizon, un ciel pavé -où la lumière solaire moyennant des touches de pinceau en blanc cotonné, lutte pour percer les nuages : bleus, grisâtres, et les rendre plus aimables-, monopolise plus de la moitié du champ visuel représenté. On a l’impression en contemplant cette atmosphère éthérée, qu’un sentiment de morosité nous envahit, nous fait voyager par l’intermédiaire de l’imagination, tellement on y trouve de la poésie !
Sous le rang de maisons estompées, on peut apercevoir, en raccourci, une autre trace de l’horizontalité dont l’œuvre fait étalage : la ligne limitant la plage et la mer.
Cette mer miroitée, calme, qui semble apporter du délassement, la journée de travail une fois accomplie. Cette mer qui lèche doucement les premières constructions en bord de mer, qui transporte le son sourd de vagues affaiblies après avoir traversé, qui sait, les latitudes inconnues. Cette mer intemporelle qui parle de l’infini, où le vert et le bleu se constituent en communion sacrée pour créer une seule couleur, aux tonalités turquoise, éclaboussée uniquement par des touches d’un chromatisme de grisaille. On peut presque y toucher l’odeur de sel !
Au milieu de cette étendue d’eau cristalline, trois voiliers à contre lumière - leur reflet se projetant sur la mer-, abritent des silhouettes brouillées ; l’ensemble modelé par des taches de la couleur de nuit, semblable à de titaniques corbeaux aux ailes abattues. Ils retournent vers la côte, dociles , soumis , attardés ; attentifs au crépuscule, tel que s’ils étaient traînés par des fils invisibles. Ces sinistres volátiles perpendiculaires constituent l’un de faibles éléments (la tour de l’église, un autre) qui font le contre poids à l’horizontalité de la composition. À gauche, deux objets, en guise de bateaux en papier, ont l’air d’avoir été y lâchés par une imperceptible main d’enfant.
Juste en bas au premier plan, à droite, encore une fois, trois petites embarcations échouées sur le sable blanchi de la plage, qui prend une bonne partie de la moitié inférieure du tableau -l’espace le plus lumineux-, attirent puissamment le regard du spectateur. D’un cyan frais à la coque, en contraste avec l’ocre doré de l’intérieur et les nuances plus sombres des deux autres, la première paraît fièrement les protéger ; toutes les trois de leurs avirons immobiles, en parallélisme avec l’horizon en arrière-plan; toutes les trois attelées d’une corde à une lourde pierre, on dirait y abandonnée pour s’en servir ; toutes les trois suintant de la solitude.
À droite des embarcations, un couple assis sur le sable, dont les habits -l’homme en noir, en blanc la femme- témoignent avoir de l’allure ; deux personnages, à supposer des vacanciers oisifs, qui jouissent des derniers rayonnements solaires en fin de journée.
L’homme regarde d’une longue-vue quelque chose à l’horizon ; la femme, elle, paraît autrement regarder par la pensée.
À différence du couple ; en bas de la composition à gauche, le groupe formé par des pêcheurs et des barques, nous parle de travail, de détente, suite au labeur accompli.
Deux figures à peine ébauchées, derrière les coques qui cachent à moitié leurs corps, entretiennent une conversation ; l’une, d’une pipe à la bouche, écoute insouciante ce qui l’autre est en train de lui dire, quelque chose à propos de la besogne du jour, sans doute. La troisième, légèrement écartée, à corps entier, tient de sa main les cordes des barques, plongée dans d’intimes réflexions. Les embarcations, tracées par des taches noires, grises et jaunâtres, ont l’air d’être atteintes du même relâchement de leurs maîtres ; un mât hautainement hissé -un autre signe de verticalité-, symbolise la fierté des hommes de mer. À droite des barques, pour compléter cet ensemble, des seaux traînés sur le sable, aux couleurs mornes, certifient la maigre marée obtenue pendant la journée, ajoutant une connotation plus de mélancolie à la scène.
Cette œuvre apparemment simple, aux couleurs froides, réalisée par Claude Monet dans le style le plus pur de l’impressionnisme, est remplie de contrastes tels que: mer/terre; horizontalité/verticalité; travail/oisiveté; blanc/noir; misère/aisance; mélancolie/espoir; solitude/rassemblement ; intemporalité/temps présent, l’intention de l’auteur étant, peut-être, d’y montrer une conciliation des contraires.
Teresa Cortés
2-11-2014
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